Dans l’imaginaire collectif, Touba demeure d’abord une ville sainte, capitale du mouridisme, lieu de recueillement et de dévotion. Pourtant, ceux qui y vivent, y travaillent ou simplement y observent avec attention les mouvements de sa société perçoivent une autre réalité : celle d’une ville en pleine effervescence économique. Une effervescence discrète, souvent ignorée des grands centres de décision, mais indéniablement réelle.
Au-delà de ses mosquées majestueuses et de son calendrier religieux bien rempli, Touba abrite une société qui bouge, s’organise, investit, construit et produit. Il suffit d’arpenter les allées du marché Ocass, à n’importe quelle heure de la journée, pour s’en convaincre. Les grossistes y règnent en maîtres, des camions déchargent sans relâche des cargaisons venues de toutes parts, et des clients de tout le Sénégal s’y approvisionnent. Le modèle du mouride-commerçant n’est plus un mythe, il s’incarne ici avec une constance impressionnante. Il irrigue l’économie nationale dans le textile, l’alimentation, l’électroménager, et bien d’autres secteurs encore.
Mais le dynamisme toubois ne s’arrête pas au commerce. Il s’étend au foncier, où la spéculation bat son plein, portée par une forte demande en logements. Chaque semaine, des hectares sont lotis, des maisons s’élèvent, des immeubles apparaissent. Le rêve d’un pied-à-terre à Touba est devenu un objectif stratégique pour une partie de la diaspora, autant pour des raisons spirituelles que pour des raisons patrimoniales. Les agences immobilières locales ne désemplissent pas.
Le transport est une autre facette de cette vitalité. À l’aube, les motos Jakarta et les voitures clando tissent leur toile à travers les grands axes et ruelles sablonneuses de la ville. Ce secteur informel mais structuré emploie des milliers de jeunes. Chacun y trouve sa place, souvent sans attendre une hypothétique embauche dans la fonction publique. Le travail y est parfois rude, mais le sentiment de dignité et d’utilité sociale est fort.
Dans les ateliers de couture, les forges, les salons de coiffure, les jeunes artisan(e)s rivalisent d’inventivité. Beaucoup s’essaient même au numérique. Ici, un jeune propose des flyers pour des daaras. Là, un autre vend des t-shirts sérigraphiés avec des versets du khassaïde ou des portraits de figures mourides. Le numérique entre dans Touba par la petite porte, porté non pas par une stratégie d’État, mais par des initiatives personnelles.
Ce qui frappe, enfin, c’est le socle sur lequel repose cette dynamique : la foi et le travail. La spiritualité n’y est pas un frein à l’économie. Elle en est le moteur. Les modèles inspirants ne manquent pas : Serigne Touba d’abord, dans son rapport à l’effort et à la persévérance, mais aussi les figures de disciples commerçants ou bâtisseurs, qui ont su concilier piété et ambition. Dans cette ville, travailler est une forme de dévotion, et réussir n’est pas vu comme une trahison des principes, mais comme une bénédiction à bien gérer.
Touba continue de croître. Ce développement, s’il reste encore peu accompagné par les pouvoirs publics, trace pourtant les contours d’une ville qui pourrait bien, dans les années à venir, imposer un nouveau modèle urbain sénégalais : ancré dans les valeurs, porté par l’initiative privée, et guidé par une vision spirituelle du progrès.