Dans un monde où les repères se diluent et les silences spirituels deviennent assourdissants, il aura fallu le pas serein d’un homme, porteur d’une tradition millénaire, pour rappeler à la conscience humaine ce que veut dire “vivre ensemble” au-delà du tumulte. À Paris, sous les lambris feutrés de l’UNESCO, Serigne Ahmadou Badawi Mbacké a prononcé une allocution mémorable, en représentation officielle du Khalife général des Mourides. Une voix calme, grave, pesée. Une voix qui portait la parole d’un héritage mais aussi l’écho d’un monde à venir.
L’événement, organisé dans le cadre du CINCAB 2025, a rassemblé une diversité d’acteurs culturels, spirituels, scientifiques, venus dialoguer sur l’avenir de la paix, de la culture et du savoir. Mais il n’est pas exagéré de dire que ce jour-là, le discours du représentant mouride a suspendu le temps. Car il ne s’agissait pas d’un simple message de courtoisie institutionnelle. Il s’agissait d’un souffle. Celui de Cheikh Ahmadou Bamba, vivant dans les mots, dans l’attitude, dans la hauteur de ton et dans le fond de la pensée.
Sans jamais hausser le ton ni chercher à convaincre par la force des effets, Ahmadou Badawi Mbacké a délivré un message d’une profondeur rare. Il a parlé de paix comme on parle d’une source, d’une eau intérieure à protéger. Il a évoqué le respect des diversités comme une condition de survie, et non comme un luxe idéologique. Il a rappelé que le mouridisme n’est pas seulement une voie spirituelle enracinée au cœur du Sénégal, mais une école universelle, capable de parler au monde dans une langue que toutes les consciences reconnaissent : celle de la dignité humaine.
Dans ce lieu hautement symbolique, chargé d’histoire et d’engagements culturels, cette voix qui venait de Touba ne sonnait ni exotique, ni folklorique. Elle sonnait juste. Elle disait que l’Afrique spirituelle avait quelque chose à dire au monde. Que Touba, dans son humilité et sa verticalité, pouvait dialoguer avec les grandes institutions de ce monde sans se travestir, sans se courber, mais en tendant la main. Et c’est sans doute là que réside la grandeur de cette adresse : dans la manière dont elle conjugue profondeur théologique et modernité du propos, enracinement et universalité.
Mais derrière ce message, il y avait aussi un homme. Un homme rare. Ahmadou Badawi Mbacké. Héritier d’une lignée lumineuse, intellectuel formé aux meilleures écoles, homme d’initiatives sociales, économiques, éducatives, il incarne cette synthèse dont notre époque a besoin : la foi enracinée et l’intelligence ouverte, la rigueur spirituelle et la souplesse politique, le verbe noble et le geste utile.
Ce qu’il a dit à l’UNESCO, il ne l’a pas simplement lu. Il l’a habité. Et ceux qui l’ont écouté avec attention n’y ont pas seulement entendu un discours : ils ont perçu une vision. Celle d’un monde où l’homme ne se réduit pas à sa consommation, ni à son rendement, mais se redécouvre par le service, la prière, l’effort, le savoir, et surtout par la paix.
Sur la plateforme Khadimou, nous ne pouvions pas rester muets devant un tel moment. Car c’est aussi notre vocation : capter les instants de grâce, porter la parole utile, accompagner les voix qui élèvent. Et nous ne doutons pas que cette première pierre posée à l’UNESCO appelle à une suite. Elle appelle à une écoute plus longue, à un entretien, à une plongée dans la pensée et l’action de cet homme de Touba que beaucoup gagneraient à mieux connaître.
Oui, il faut le rencontrer. Le regarder parler, au calme. L’écouter expliquer sa vision du monde, du mouridisme, de l’Afrique et de l’humain. Et si Dieu le veut, nous irons à sa rencontre. Avec la même attention que celle qu’il a suscitée à Paris. Car ce qu’il a dit là-bas, ce n’est pas seulement pour l’international. C’est aussi, et surtout, pour nous. À nous de l’entendre, à nous de le transmettre.