Dans la constellation des guides mourides, chacun brille d’une lumière propre, révélant une facette de la richesse spirituelle léguée par Cheikh Ahmadou Bamba. Serigne Abdou Lahat Mbacké, fils de Bamba et troisième khalife général des mourides (1968-1989), incarne la sagesse tranquille, l’unité silencieuse et la continuité discrète.
Né en 1914 à Darou Karim, ce lieu paisible deviendra plus tard son point d’ancrage spirituel. Il y installera sa résidence, refusant les éclats du pouvoir apparent, préférant la discrétion à la démonstration. Ce choix n’était pas fortuit. En s’éloignant des tumultes, il a bâti un khalifat fondé sur l’essentiel : la rigueur morale, l’éthique du service, et la fidélité sans compromis à l’héritage du fondateur du mouridisme.
Son accession au khalifat intervient dans un contexte de grands bouleversements au Sénégal : indépendance fraîchement acquise, émergence des mouvements politiques, mutations sociales. Face à cela, Serigne Abdou Lahat a choisi la posture de l’unité, veillant à préserver la cohésion interne de la confrérie. Il était peu disert en public, mais ses décisions résonnaient avec profondeur. Sa parole rare en faisait une autorité morale incontestée.
Durant ses vingt années de khalifat, il a initié ou consolidé plusieurs chantiers d’envergure : la modernisation de Touba, l’entretien des édifices religieux, et le renforcement des daara. Il favorisait un islam sobre, fondé sur la dévotion, le travail et le respect des anciens. Il encourageait les jeunes à l’apprentissage, mais aussi à la patience, dans un monde de plus en plus pressé.
Plusieurs témoignages de l’époque décrivent un homme affable, toujours souriant, mais ferme lorsqu’il s’agissait des principes. A Touba, son aura transcendait les clivages : il était l’homme du juste milieu, respecté des disciples comme des autorités politiques. Il avait cette capacité rare de faire l’unanimité sans chercher à plaire.
Son décès en 1989 a laissé un vide silencieux, mais profond. Beaucoup disent qu’il a préparé sa succession avec lucidité, en orientant les siens vers la stabilité. Aujourd’hui encore, à chaque évocation de son nom, c’est un parfum de dignité, de mesure et de loyauté qui revient. Un khalife sans tapage, mais à la stature immense.
A l’heure des réseaux et des voix amplifiées, Serigne Abdou Lahat nous rappelle qu’on peut guider une nation spirituelle entière sans hausser le ton. Il demeure le souffle silencieux du mouridisme, l’un de ses plus puissants visages.